Bordeaux Aquitaine Marine

Histoire des quais de Bordeaux

Extrait « Etude sur le port de Bordeaux » par M.W. Manès in Actes_de_l’Académie_nationale_de Bordeaux de 1867

Considérations générales.

Les rives des rivières à marées, sur lesquelles sont établis des ports, doivent être disposées de manière à faciliter autant que possible les mouvements du trafic. Ces rives doivent être des terre-pleins insubmersibles, couverts d'une chaussée pavée et ayant une largeur en rapport avec l'activité du commerce local; elles doivent se terminer sur le bord de la rivière alternativement par des places- inclinées ou cales, pour le service des petites embarcations, et par des murs d'aplomb en maçonnerie ou quais verticaux, pour le service des grands navires. Les cales ont l'inconvénient d'enlever une grande surface de terrain aux besoins du commerce, elles exposent les marchandises à être avariées par leur dépôt sur une plage humide et vaseuse ; mais elles sont faciles à établir, peu coûteuses, et présentent des bords convenables, en tout temps , pour toutes sortes d'embarquement et de débarquement. Les quais verticaux permettent aux navires de toucher aux terre-pleins, et d'opérer les mouvements des marchandises avec facilité au moyen de grues fixes ou amovibles, ou à l'aide des nuits et gréements des navires eux-mêmes. Ces quais, quelquefois de construction difficile et généralement assez coûteux, sont d'ailleurs, à raison des fortes dénivellations des marées, le plus souvent impossibles à aborder sans secours étrangers, et moins avantageux que des bassins à flot, dans lesquels la fixité du niveau permet de rouler les navires, du navire à terre et réciproquement. Anciennement les terre-pleins des quais de Bordeaux étaient plus ou moins submersibles, les eaux du flot venaient les recouvrir sur plusieurs points et pénétrer jusque dans l'intérieur de la ville. Ces terre-pleins n'étaient point pavés; ils offraient un sol inégal et couvert de vase qui en rendait la circulation très pénible. C'est seulement en 1750 qu'on commença à les exhausser et les paver, et que leur largeur s'augmenta avec l'accroissement des atterrissements causés par les limons de la rivière. Le rivage de la Garonne fut longtemps laissé dans son état naturel et sans aucun revêtement. Il était difficilement accessible pour les embarcations d'un faible tirant d'eau et pour les bâtiments. qui peuvent supporter l'échouage. Les grands navires qui tirent beaucoup d'eau et ne peuvent s'échouer sans s'exposer à faire des avaries, restaient mouillés dans le chenal et communiquaient avec la rive par des gabarres ou allèges. Plus tard, on facilita l'accès du rivage aux petites embarcations, ainsi qu'aux allèges, par des cales inclinées, dressées suivant la pente la plus convenable et consolidées par un revêtement empierré, lesquelles permettent d'accoster à toute heure de marée et facilitent les mouvements d'embarquement et de débarquement.

Cales inclinées.

Les premières cales construites furent celles de la Douane et des Salinières, qui furent établies antérieurement à 1733. Jusqu'en 1806, ces cales furent construites d'une manière simple et économique; on dressait grossièrement les bords de la rivière sur une pente de 6 de base sur 1 de hauteur, et on répandait ensuite sur ce plan incliné des matériaux de délestage. Ainsi établies, elles étaient dans les parties de la rive sujettes aux envasements, soumises à des recouvrements de vase que des ouvriers, dits laveurs de cales, devaient chaque jour enlever. Ces vases s'accumulant à leur pied et prenant de la consistance, en rendaient bientôt l'approche difficile; elles obligeaient alors à charger ces cales de nouveaux graviers pour former au- devant d'elles de nouvelles cales aux dépens du lit de la rivière, dont le rivage s'éloignait ainsi de plus en plus des murs de ville. extrait du Magasin Pittoresque, 1844 En 1819, on proposa de paver ces cales sur tous les points les plus fréquentés, et de terminer celles exposées aux envasements par un petit mur vertical qui, en donnant plus d'énergie au courant, devait contribuer à l'entraînement des vases. La construction adoptée fut alors la suivante : on dressa un talus pavé de 5 de base sur 1 de hauteur, partant de l'arête du quai et venant s'appuyer à son pied contre un petit mur de soutènement fait par un enrochement derrière une Ille de pieux et palplanches. Les pieux, recepés à 0m75 seulement au-dessus de l'étiage, demeurent presque toujours submergés et ne sont pas exposés à se détériorer. Le mur étant élevé à 1m80 au-dessus de l'étiage, soit à 0m60 au-dessus des eaux moyennes, reste toujours abordable à basse mer. Enfin , l'arête du quai étant tenue à 6 mètres, le pied du talus à 1m80, et l'inclinaison de ce talus à 15 de pente, la largeur du talus ou de la cale est de 20 mètres. Le mètre courant de cale ainsi établie ne revenait pas à plus de 178 fr. La cale de la Douane, construite en 1825 d'après ce mode, était en 1830, malgré son mur vertical, totalement envahie par les vases. Depuis lors, on a construit de même toutes les cales qui ont été faites sur divers points, mais en supprimant le mur vertical comme absolument inutile et ne pouvant servir qu'à augmenter la dépense sans avantage réel pour le commerce, et en appuyant le pied de ces cales sur un enrochement. L'augmentation du nombre de mètres cubes de remblais résultant d'un plus grand avancement en rivière, ainsi que l'emploi de matériaux de meilleure qualité et d'un plus grand prix, ont d'ailleurs élevé le prix du mètre de quelques-unes d'entre elles à la somme considérable de 1,000 fr. Les petites embarcations viennent débarquer et embarquer directement sur ces cales, à l'aide de planches ou madriers jetés depuis le pont jusqu'à la rive. Autrefois, les grands navires à voiles restaient tous en rivière; ils faisaient le débarquement des marchandises qu'ils importaient et l'embarquement de celles qu'ils exportaient au moyen d'allèges ou de gabarres qui abordaient également ces cales pour porter les marchandises de bord à terre ou de terre à bord. Depuis la construction du quai vertical, ces mêmes navires font leur débarquement à ce quai et leur embarquement seul en rivière. C'est d'ailleurs là un grand avantage, car le service des allèges grève la marchandise de frais considérables, en raison des complications de mouvements et de main-d’œuvre qu'il occasionne, des avaries auxquelles il expose, et de la nécessité où sont les gabarres d'attendre la marée pour conduire les marchandises en amont ou en aval du navire. Dans le principe, l'embarquement par allèges des marchandises autres que des liquides en barriques ne coûtait pas moins de 3 fr. par tonneau de 1,000 kilo. Aujourd'hui, ce mode d'embarquement coûte encore environ de 2 Ir. 35 c. à 2 fr. 50 c., savoir - Pour mise des marchandises sur l'allège, au compte de l'armateur : 0.60 à 0.75 fr. - Pour loyer de la gabarre ou allège : 1 fr. - Pour mise à terre des marchandises à forfait, prix moyen : 0.75 fr. Les frais d'embarquement d'un tonneau de vin, composé de quatre barriques prises à quai, est de 2 fr. 25 c., savoir : I fr. 25 e. pour embarquement sur allégé et transport à bord, et 1 fr. pour l'arrimage. Si le vin est en caisses de douze bouteilles, dont il faut vingt-sept pour faire le tonneau de mer, les frais d'embarquement de ces vingt-sept caisses sont de 3 fr. 97 c., dont I fr. 62 c. pour sortie du chai et embarquement sur allégé, I fr. 35 c. pour port du quai au navire et 1 fr. pour l'arrimage.

Débarcadères.

Dans le but d'apporter une diminution dans ces frais, on imagina de mettre les grands navires en communication avec la rive au moyen de débarcadères. Ces débarcadères furent de deux sortes, suivant qu'ils durent être placés dans les parties de la rivière sujettes ou non aux envasements. Dans les parties sujettes aux envasements, les débarcadères consistèrent en pontons flottants placés en rivière et joints à la rive par des tabliers mobiles, suivant alternativement le mouvement des marées. Ces pontons servirent au dépôt provisoire des marchandises qui y furent roulées du pont des navires, puis transportées sur le quai au moyen du pont mobile attenant à la rive. C'est ce genre de débarcadère qui fut appliqué dès le principe aux débarquements des gabarres du haut pays, ainsi que des bateaux à vapeur du haut et du bas de la rivière; c'est celui qui sert encore aux steamers du Havre. Dans les parties non sujettes aux envasements, les débarcadères consistèrent en appontements fixes en charpente, établis sur pilotis, assez avancés en rivière pour que les grands navires puissent les accoster en restant à flot, et réunis à la rive par des ponts fixes ou tabliers en charpente également portés sur pilotis. Les deux premiers débarcadères de ce genre furent ceux construits en 1830 vis à vis de la Douane et de l'Entrepôt. extrait du Magasin Pittoresque, 1844 Le débarcadère de la Douane présentait, à partir du terre-plein de la rive, deux avancements en rivière, ou tabliers, de 25 mètres de longueur sur 5 de largeur, et deux plates-formes antérieures, parallèles_ au cours de la rivière, de 60 mètres de longueur sur 10 de largeur. Chaque plate-forme, à laquelle venait accoster un navire de 40 à 50 mètres soumis à la dénivellation des marées, portait la grue à bras nécessaire au déchargement de ce navire, et le tablier portait un chemin de fer conduisant à un magasin de 25 mètres au carré établi sur le terre-plein pour recevoir les marchandises. Les débarcadères de la Douane et de l'Entrepôt produisirent, sur le débarquement par allèges, une économie d'au moins 1 fr. par tonneau ; mais ne pouvant décharger au-delà du neuvième des marchandises annuellement importées à Bordeaux, et occasionnant de fortes dépenses d'entretien en raison de la détérioration rapide des charpentes et planchers qui les composaient, ils laissaient encore le port de Bordeaux dans une grande infériorité par rapport à ceux du Havre et Marseille. En effet, d'après un Rapport de M. Charles Dupin à la Chambre des Pairs, Bordeaux payait encore, en 1844, pour débarquer 1,000 kilo. de sucre en boucauts, la somme de 2 fr. 30 c., tandis que Marseille ne payait que 1 fr. 30 c., et le Havre 1 fr. seulement. Il était donc d'une extrême importance pour le port de Bordeaux de lui donner de nouveaux moyens d'opérer les déchargements à moindres frais, et ces nouveaux moyens durent naturellement être cherchés dans la construction de quais verticaux revêtus de maçonnerie dont il était entièrement privé.

Quais verticaux.

Si pendant longtemps il n'exista dans le port de Bordeaux aucune partie de chaussée sur laquelle les navires à flot pussent venir décharger immédiatement leurs marchandises, c'est qu'on y admettait qu'un quai vertical en rivière avait une tendance naturelle à des envasements pouvant mettre de grands obstacles à son service. 11 est certain que les bâtiments accostés au quai, formant obstacle au libre mouvement du courant, occasionnent des dépôts de vase à son pied ; mais l'accumulation de ces vases peut être évitée par des dragages annuels, dont les frais ne doivent pas faire reculer devant l'amélioration importante à réaliser. rivage du quai des Chartrons (détail peinture de Lacour) On redoutait aussi les difficultés que donnerait à vaincre et la dépense qu'entraînerait la construction, sur un fond de vase molle et fluante, d'une grande épaisseur d'un mur de quai, au pied duquel devra être maintenue une hauteur d'eau de plus de 6 mètres pour le rendre accessible aux plus grands navires. Jamais, à Bordeaux, il n'avait sans doute été entrepris de grandes constructions hydrauliques dans des conditions aussi défavorables; mais on y avait été préparé par les travaux des culées du pont exécuté pour le passage à La Bastide, et par ceux du débarcadère de la Douane. On savait que les principales difficultés proviendraient de la tendance au tassement due à la pose de constructions épaisses et lourdes sur un très mauvais terrain, et de la tendance au renversement sous l'action de la poussée des vases pressées par les remblais intérieurs; on était d'ailleurs averti, par les travaux exécutés dans d'autres ports, que le remède à la première difficulté se trouve dans l'emploi d'une fondation sur des pilotis pénétrant d'une quantité suffisante dans le terrain solide, et le remède à la seconde dans l'un de ces trois moyens, ou le remplacement des remblais intérieurs par des moellons qui ont moins de poussée, ou l'établissement au dos du quai de voûtes perpendiculaires à sa direction, lesquelles diminuent la pression des remblais, ou le rattachement du mur au terre-plein par des tirants en fer. Tout bien considéré, on jugea, en 1844, que le port de Bordeaux ne pouvait différer plus longtemps de mettre en usage un moyen d'art qui, partout ailleurs, avait donné d'excellents résultats, et ce fut alors que le Gouvernement se décida à doter ce port d'une ligne de quais verticaux de 906 mètres de longueur, allant de la Douane à l'Entrepôt, et se terminant à chacune de ses extrémités par une cale de 100 mètres de longueur. Ce grand travail fut, sur un avant-projet présenté en 1843 et après enquête, voté en 1844 par les Chambres. La dépense devait s'élever à 3,500,000 fr. Le projet définitif fut dressé en -1845, les travaux commencèrent en 1846; la première partie, celle du nord, fut achevée en 1852; la deuxième partie, celle du sud , en 1854. Le quai commence vis à vis l'angle sud de l'hôtel de ta Douane, et se termine vis à vis la maison Fenwick. Il n'est interrompu que par la cale de 80 mètres de longueur, située en face de la place Richelieu, et par l'escalier monumental de 20 mètres de longueur, situé dans l'axe de la place des Quinconces. En amont et en aval, il se termine par des murs en retour contre lesquels viennent s'appuyer les cales extrêmes. Ce quai, de 806 mètres de longueur réelle, s'avança de 43 mètres en rivière jusqu'à l'alignement des débarcadères, qu'il remplaça; il fit plus que doubler la largeur du quai dans certaines parties, et facilita d'autant les relations commerciales et la circulation. Cet avancement put d'ailleurs être opéré sans apporter aucune perturbation dans le lit de la rivière, attendu qu'il laissait à celle-ci une section supérieure à celle qui lui suffit au pont. Des sondages qui furent alors exécutés, on crut pouvoir conclure que, dans l'étendue que devait embrasser le quai, le sol devait être divisé en deux sections distinctes : la première, de l'origine amont du quai jusqu'à 50 mètres en aval de la façade nord de la rue Esprit-des-Lois, sur une longueur de 480 mètres, où se trouve une couche de vase s'étendant jusqu'à 10 mètres au-dessous de l'étiage, et reposant sur un terrain argilo-sableux, qui n'est qu'une vase plus compacte; la deuxième, à l'aval jusqu'à la fin du quai, sur une longueur de 6-26 mètres, où la vase s'étend moins bas et recouvre du sable graveleux ou du sable pur, dans lesquels les pieux peuvent prendre une bonne fiche. Il semble, toutefois, résulter des travaux faits depuis lors que la différence réellement existante entre ces deux sections est peu sensible. quai vertical vers 1913 Quoi qu'il en soit, cette connaissance du terrain étant acquise, il fut décidé que l'ouvrage se composerait d'une fondation ou plate-forme en béton reposant sur pilotis, du mur de quai fait en maçonnerie de moellons et de pierres de taille, de contreforts en maçonnerie de moellons se reliant à ce mur, et d'une crèche ou risberme en béton établie au large contre la ligne des pieux de rive. Les ingénieurs du département avaient en outre proposé l'établissement entre les contreforts de voûtes de décharge, niais elles furent rejetées par l'Administration supérieure. Voici comment on opéra : 1) On exécuta un dragage soigné sur tout l'emplacement que devaient occuper le mur et les contreforts. 2) On enfonça dans le sol le nombre de pieux nécessaires pour recevoir la plate-forme en béton qui devait supporter le mur et les contreforts, savoir : à l'extérieur, une ligne de pieux de rive juxtaposés, battus à une profondeur de 10,à 12 mètres au- dessous de l'étiage, s'élevant jusqu'à ce niveau et servant d'enceinte du côté du large; à l'intérieur et perpendiculairement à la rive, 6 rangées de pieux pénétrant à la profondeur de 9°50 à 10 mètres, espacés entre eux de 1 mètre d'axe en axe dans tous les sens, arasés à deux mètres au-dessous de l'étiage, remplis, au-dessus du terrain, d'enrochements dans les intervalles et reliés entre eux par un double cours de moises ou grillage pour soutenir la partie de la plate-forme sur laquelle pose le mur; à la suite et dans la même direction, 6 rangées de pieux pénétrant à la profondeur de 8m50 à 9 mètres, espacés de trA50, arasés à 2 mètres au-dessous de l'étiage comme les précédents, garnis et reliés entre eux de même que ceux-ci, pour soutenir la partie de la plateforme sur laquelle posent les contreforts. Cette première opération a d'ailleurs donné lieu à beaucoup de difficultés et a laissé beaucoup à désirer. Le battage des pieux qui s'est fait au moyen de quatorze sonnettes à déclic mues à bras, n'a pu être suffisamment surveillé ; ces pieux devaient être tous enfoncés à un refus de 2 à 3 centimètres par volée de dix coups d'un mouton du poids de 500 kilo., tombant de 3m50 de hauteur; mais cet enfoncement a-t-il été partout obtenu ? Le recepage (1) de ces mêmes pieux à un niveau horizontal, n'a été que très imparfaitement exécuté au moyen d'une scie droite reliée à un châssis flottant, et mise en mouvement par des hommes. Les enrochements qui devaient, dans la partie des pieux supérieure au terrain, remplir les intervalles existants entre eux, ont dû être battus au mouton au milieu de la vase qui s'y était accumulée, et ce battage faisait remonter les pieux voisins. Enfin la risberme établie au pied de la ligne des pieux de rive a été formée en moellons d'enrochements trop peu élevés. 3) La couche de béton qui vint recouvrir les pieux et former la plate-forme fut faite au moyen de caissons coulés sur leur tête. On lui donna 3 mètres d'épaisseur sur le premier système de pieux et 1°50 seulement sur le second système. La plate-forme se trouva ainsi divisée en deux étages distincts. 4) Le mur de quai, établi sur la première partie de la plate-forme, se composa d'un parement extérieur de maçonnerie en pierres de taille, de 1 mètre d'épaisseur, et d'un massif intérieur de maçonnerie en moellons de pierre dure. On lui donna 6'425 de hauteur au-dessus de l'étiage, 4 mètres de largeur à la base, 2 mètres de largeur au sommet, trois retraites de 0°50 à l'intérieur et un fruit de 1/,.. 5) Les contreforts en maçonnerie de moellons établis derrière le mur et reliés avec lui, devaient s'étendre sur toute la seconde partie de la plate-forme, mais on ne leur donna que 6 mètres de saillie sur 2 mètres de largeur; on les espaça de 15 mètres d'axe en axe, et on les éleva d'environ 1w50 au-dessus de la ligne d'étiage. La construction ainsi commencée vis à vis le pavé des Chartrons et menée vers l'amont, il arriva, en 1849, que les . fondations étant faites et le mur élevé de 3w90 au-dessus de l'étiage, sur une longueur de .100 mètres, les remblais dont on se servit alors pour combler le vide existant entre le terre-plein de la rive et le mur, opérèrent bientôt dans ce mur une flexion ayant 9 à 10 centimètres à son milieu. On obvia à cet accident en enlevant immédiatement les remblais, en construisant, à partir de l'aplomb de l'extrémité de la plate-forme et sur une longueur de 7m50, des voûtes de décharge, ainsi qu'en remplissant, par un enrochement, l'intervalle restant entre ces voûtes et le mur. On établit ces voûtes au niveau de 1m70 au- dessus de l'étiage, on les fit reposer sur un grillage de cinq files de pieux pénétrant à la profondeur de 10 à 12 mètres sous l'étiage, espacés entre eux de 1°50 et garnis d'enrochements. On donna à ces mêmes voûtes 5m50 de diamètre sur 0°50 d'épaisseur, et on combla avec des remblais l'intervalle de 1 mètre entre leur extrados et le pavé. Ce travail revint à près de 300 fr. par mètre courant de galerie ou par mètre courant de quai. Ce moyen eut tout le succès possible, mais il n'était pas certain qu'il réussirait également bien dans la partie du quai où le terrain était regardé comme plus mauvais. Aussi les ingénieurs du département, convaincus de l'utilité de ne laisser aucune partie de remblais presser contre les vases qui existent derrière le mur, proposèrent-ils de continuer les voûtes de décharge jusqu'à ce mur. L'Administration supérieure ne partagea pas cet avis. Elle fit continuer, d'après le profil d'essai qui avait réussi, la construction dont la dépense s'éleva en somme à 3,360,000 fr. Les accidents survenus en 1859 et en 1865 prouvèrent d'ailleurs qu'en cela elle avait eu tort. Au mois de novembre 1859, la partie du quai vertical située devant la place de la Bourse, qui jamais n'avait présenté un état d'équilibre bien stable, mais qui, dès le principe, avait éprouvé un certain bombement dans l'arête supérieure du couronnement, vit alors s'accélérer d'une manière inquiétante ce mouvement, que l'on arrêta par l'enlèvement immédiat des remblais placés entre le mur et les voûtes de décharge. On reconnut alors que ce mouvement était dû au tassement de la plate-forme en béton placée derrière le mur, par une charge plus forte que celle qu'elle pouvait supporter. De là est résulté qu'elle s'est enfoncée dans la vase, qu'elle a chassée horizontalement, et c'est la pression de cette vase qui a plié les pieux extérieurs et a infléchi l'alignement du mur de quai. Pour la réparation de cette partie de quai, on a exécuté les travaux suivants : 1° On a construit entre le parement intérieur du mur et les anciennes voûtes, de nouvelles voûtes de décharge, dont les piles, épaisses de 1°50, ont été disposées de manière à avoir leurs axes coïncidant exactement avec les milieux des caissons de fondation, et dont les arches prenant leur naissance à 1°150 au-dessus de l'étiage et ayant un diamètre de 5 mètres environ, ont eu leur maçonnerie s'élevant à 5m30 au-dessus du même niveau, et recouvertes de sables graveleux montant jusqu'au sol. 2° On a disposé au-devant de la ligne de pieux jointifs de rive une risberme en béton, présentant la forme d'un triangle de 3 mètres de hauteur sur 6 mètres de base, et dont le béton fait avec de la chaux du Teich a été coulé dans des sacs posés avec soin à l'aide du Scaphandre. 3" Les piles des voûtes ont été traversées dans leur milieu par un aqueduc les faisant toutes communiquer entre elles, et le mur de quai a été traversé lui-même par des barbacanes distantes de 15 mètres, afin de donner un écoulement facile aux eaux que la marée introduit dans l'intérieur des ouvrages, et qui, dans l'ancien état de choses, augmentait considérablement le poids des remblais. Ces nouveaux travaux, exécutés du let juillet 1861 au 29 août 1863, sur une longueur de 137 mètres, ont encore occasionné une dépense qui ne s'est pas élevée à moins de 211,160 fr., soit à 1,541 fr. par mètre courant. A la fin de 1865, alors que dix années s'étaient passées depuis l'achèvement de la partie du quai vertical située devant l'hôtel de Nantes, il se manifesta dans la muraille de ce quai une courbure très prononcée, avec avancement en rivière de près de Om80 au sommet, et une fissure en ce point de 3 centimètres de largeur. Cet accident, des plus menaçants, exigeait une prompte réparation. On s'empressa aussitôt d'enlever, sur une hauteur de 4 mètres, tous les remblais existants entre le mur et les voûtes, et on put constater que tout le système s'était avancé dans la rivière par la flexion des pieux qui n'avaient pas pénétré suffisamment dans le terrain solide et qui avaient cédé sous la charge. On se décida ici à rattacher par des tirants en fer le mur de quai à un des anciens et puissants murs du château Trompette, situé à une distance d'environ 59 mètres, à pratiquer au pied une risberme dans le système adopté devant la place de la Bourse, à laisser provisoirement vide la distance entre le mur de quai et les anciennes voûtes, et à recouvrir cet espace par un tablier en fer surmonté d'un platelage en bois et gravier sur lequel se feraient les mouvements du quai. On a placé devant le mur de quai un bouclier en tôle de 26 mètres de longueur, 1 mètre de largeur et 2 centimètres d'épaisseur, s'étendant dans toute la partie à soutenir, et sur ce bouclier on a fixé quatre pièces en fonte •distantes de 8 mètres d'axe en axe pour recevoir les têtes de quatre lignes de tirants également espacées entre elles et s'attachant derrière le mur du château Trompette, à quatre plaques de fonte de 1 mètre de longueur et 8 centimètres d'épaisseur. Chaque ligne de tirant a été composée de quatre barres de fer de 6 centimètres de largeur sur 9 1/2 de hauteur. Chaque barre, supportée par des rouleaux, a, de 10 en 10 mètres, un assemblage par deux clavettes en acier, donnant 3 centimètres, de serrage. Ces assemblages sont alternés. La réparation de cette partie du quai aura coûté la somme totale de 224,152 fr., soit environ 1,600 fr. par mètre courant de la longueur totale. Enfin, en 1866, il s'est fait encore, dans la partie du quai vertical située devant la Bourse et sur la voie même des rails, plusieurs éboulements indiquant que les réparations faites à deux reprises n'ont pas suffi à sa consolidation. On a provisoirement bouché les nouvelles excavations au moyen d'un briquetage sur lequel on a placé des plateaux en tôle, et on se propose de relier plus tard, par des tirants, ce mur à des massifs de maçonnerie qu'on établira sous le terre-plein. Dans le courant de 1860, il fut d'ailleurs généralement reconnu que le quai vertical établi entre la Douane et l'Entrepôt, était tout à fait insuffisant pour les besoins du commerce; que les bâtiments à vapeur qui fréquentaient la rade en occupaient déjà une grande partie, que l'autre partie présentait à peine l'espace nécessaire pour le déchargement des navires à voiles du long-cours, dont les chargements devaient encore forcément se faire au large; que son insuffisance ne ferait que s'accroître en raison de l'extension toujours croissante du commerce de Bordeaux; qu'il était donc urgent de prolonger ce quai en aval. Le nouveau projet des ingénieurs consista dans la construction de deux nouveaux quais verticaux aux Chartrons et à Bacalan, et dans l'élargissement des cales inclinées de ces quartiers. Ce projet ayant été approuvé par le Conseil général des ponts et chaussées, le gouvernement a, par un décret du 25 août 4861, affecté 4 millions à son exécution. Sur cette somme 2,200,000 fr. ont été consacrés à la construction du quai des Chartrons, long de 207 mètres, le seul dont on se soit occupé jusqu'ici, et avec lequel ont été compris 85m90 de la cale Fenwick, qui était à refaire, et 576 mètres de cales neuves à établir entre la rue Raze et la rue Poyenne. Le quai des Chartrons devant avancer de 25 mètres en rivière et être construit dans la passe où stationnaient alors les navires du plus grand tonnage, la Chambre de commerce manifesta la crainte qu'un rétrécissement dans cette partie de la rivière ne compromît gravement la situation du port. Les ingénieurs répondirent que, de cet avancement du quai en rivière il ne résulterait aucun rétrécissement fâcheux dans la passe des navires, par la raison que le courant, composé du même volume d'eau, sera refoulé vers le banc de sable des Queyries, lequel s'éloignera de la même quantité. Ce n'est qu'en juin 1863 que, des crédits ayant été alloués, le nouveau quai vertical des Chartrons a pu être commencé; la modicité de ces crédits en a d'ailleurs rendu l'exécution fort lente, et c'est seulement à la fin de 4867 que ce quai a pu être entièrement livré au commerce. Le faîte du banc des Queyries n'a point été déplacé; mais son versant occidental a été coupé de manière que la passe des navires a conservé sa largeur. L'agrandissement des cales des Chartrons et de Bacalan reste encore à entreprendre. Les accidents survenus dans la partie du quai vertical comprise entre la Douane et l'Entrepôt devaient rendre très circonspect dans la préparation du nouveau projet, qui présente, en effet, de très grandes différences avec l'ancien. Le battage des pieux a été opéré d'après un mode plus en rapport avec la nature du terrain donné par les sondes, savoir au moyen de deux sortes de sonnettes à déclic, mues par des machines locomobiles de 8 chevaux. Ces pieux ont été enfoncés au refus de 2 centimètres par volées de dix coups d'un mouton du poids de 1,000 kilos., tombant d'une hauteur de 1m50; ils ont tous pénétré de 1 mètre à 1m10 dans le terrain solide ; leur recepage, à 4 mètres sous l'étiage, a été exécuté à bras d'hommes, au moyen d'une scie circulaire mue à l'aide d'un appareil établi sur un échafaudage fixe ; il s'est fait à un niveau parfaitement horizontal. La manœuvre de cet appareil était d'ailleurs trop délicate et exigeait trop de tâtonnements pour comporter l'emploi de la vapeur comme force motrice. Comme ce recepage s'est fait à 2 mètres plus bas que d'après l'ancien mode, les pieux demeurent plus courts de la même quantité, et leur diamètre moyen est conséquemment puis fort; il résulte de cette double circonstance que leur résistance est beaucoup plus grande. Quant aux enrochements des intervalles existant entre la partie des pieux supérieure au terrain, ils se sont faits, pour ceux les plus éloignés de la rive par les procédés ordinaires, c'est à dire après le battage, mais pour les pieux les plus rapprochés de la rive et les plus exposés aux envasements, on a enlevé avec soin les vases qui s'étaient déposées sur les emplacements qu'ils devaient occuper, on a remplacé ces vases par des enrochements, et c'est au milieu de ces enrochements qu'on a effectué le battage. Le mur de quai a été assis sur une suite d'arcades en maçonnerie se prolongeant sur 25 mètres de longueur dans le sens perpendiculaire, s'élevant de 4m90 au-dessus de la ligne d'étiage et raccordées entre elles par des courbes à concavité tournées vers le haut, de telle manière que la charge supportée par le mètre carré de la plate-forme est notablement allégée, que nulle part au dos du quai les remblais ne portent directement sur les vases, et que les eaux qui pénètrent dans l'intérieur des ouvrages ont toutes facilités pour leur écoulement. quai vertical en 1850 L'ouvrage entier repose sur deux plates-formes distinctes établies sur pilotis, dont la première partant de la rivière et dite sur caissons, est à la profondeur de 4 mètres sous l'étiage, et dont l'autre, y faisant suite dans le sens perpendiculaire à la rive, dite sur charpente, est à la profondeur de 1m70 au-dessus de l'étiage, en sorte qu'il y a une différence de niveau de 5m70 entre elles deux. La première plate-forme repose sur plusieurs groupes de pieux formés chacun de 44 pieux, savoir 4 dans le sens parallèle à la rive, et 11 dans le sens transversal. Ces pieux enfoncés par le gros bout sont séparés entre eux de 1m10 d'axe en axe en tous sens, et sont, dans les intervalles de- la partie supérieure au terrain, garnis d'enrochements. Cette plate-forme consiste en massifs de 3-30 d'épaisseur, distants entre eux de 8 mètres d'axe en axe, s'élevant jusqu'à la ligne d'étiage et faits à l'aide de caissons, en maçonnerie de moellons durs de Barsac, avec mortier de chaux hydraulique du Theil. Elle porte les piliers des arches construits en maçonnerie de pierre de taille sur 2 mètres d'épaisseur et 1m90 de hauteur, et sur ces piliers reposent les voûtes en plein-cintre de 6 mètres de diamètre et 0°165 d'épaisseur. On a rempli de maçonnerie l'intervalle entre ces voûtes jusqu’aux courbes concaves qui les raccordent entre elles et qui ont leur point le plus bas à 290 au-dessous du sol. Enfin, on a recouvert le tout de remblais jusqu'au sol. A l'extrémité aval des voûtes on a élevé le mur de quai sur 6m40 de hauteur, en lui donnant 1/10 de fruit au large, 2m30 d'épaisseur devant les organeaux, 2m10 devant les bornes et 1m80 partout ailleurs. La deuxième plate-forme repose sur le même nombre de groupes de pieux que la première, mais ces groupes sont composés chacun de 56 pieux dont 4 dans le sens parallèle à la rive, et 14 dans le sens opposé. Ces pieux, enfoncés également par le gros bout, sont espacés et garnis dans leurs intervalles de même que les précédents; ils portent à leur tête une forte charpente constituant la deuxième plate-forme sur laquelle on a établi des massifs en maçonnerie de 2 mètres de largeur et 0m20 de hauteur, qui soutiennent les voûtes des arches faisant suite aux premières. A leur extrémité opposée à la rivière, ces arches ont été bouchées avec des enrochements, puis l'intervalle restant entre ces enrochements et le terre-plein a été remblayé. La dépense des 207 mètres de quai des Chartrons et des 662 mètres de cales, en amont et en aval, avait été estimée à 2,200,000 fr., y compris une somme à valoir de :332,000 francs; retranchant de cette somme 218,000 fr. pour le rabais fait par l'entrepreneur, et 662,000 fr. pour les frais approximatifs de construction des 662 mètres de cales, on voit qu'il aura été dépensé pour les 207 mètres du quai vertical des Chartrons la somme de 1,320,000 fr. En résumé, les travaux des quais verticaux exécutés jusqu’ici comprennent deux parties distinctes. La première partie allant de la Douane à l'Entrepôt, a 806 mètres de longueur; celle-ci a été exécutée de 1846 à 1854, elle a donc duré huit ans, on a fait 100 mètres par an, et le prix en est revenu à 4,200 fr., y compris les premières voûtes de décharge. Mais par le fait des accidents qui sont survenus dans cette partie, on n'a pu en jouir encore en entier, on a dû depuis son achèvement travailler presque constamment à la réparer sur quelques points. 11 y a en ce moment 142 mètres de ces quais dont on ne peut se servir, et il est probable qu'il se passera encore cinq à six ans avant qu'ils ne soient mis en bon état dans toute leur étendue. Alors on n'y aura pas dépensé moins de 7,300 fr. par mètre. Les accidents qui ont eu lieu auraient été en grande partie évités si on eût suivi les avis des ingénieurs des départements, et nous n'aurions pas eu à déplorer le triste événement dont on ne peut douter qu'ils aient été la cause. La deuxième partie des quais verticaux ou celle s'étendant de l'Entrepôt à la rue Raze, sur une longueur de 207 mètres, a été exécutée de juin 1863 à fin 1867, soit quatre ans et demi ; on a fait moins de 50 mètres par an, par suite de l'exiguïté des crédits alloués. Les travaux, bien plus soignés, donnent du moins ici toutes garanties de solidité; la dépense s'en est élevée à environ 6,300 fr. par mètre courant. quai en 1871 Espérons que la troisième partie de quai vertical à établir sur une nouvelle longueur de 200 mètres, laquelle est prévue dans le décret du 25 août 1861, sera prochainement entreprise, et qu'elle sera menée avec plus de rapidité. Ce nouveau quai devait être construit à Bacalan; mais il conviendra mieux aujourd'hui de l'établir dans la partie de la rive des Chartrons qui fait face à la voie Larcher, par laquelle le chemin de fer du Médoc doit se relier à la voie ferrée des quais. Là, en effet, il sera très utile d'assurer la facilité des nombreux mouvements qui s'y opéreront par de grands espaces ménagés entre la façade et la rive. Admettons que cette nouvelle construction commence l'année prochaine et dure quatre ans, elle sera achevée à la fin de 1872; alors le port de Bordeaux aura 1,200 mètres de quais verticaux qui, supposés tous en état, devront servir aux déchargements et chargements des navires à vapeur, ainsi qu'aux déchargements des navires à voiles. Or, d'après les progrès réalisés par la navigation à vapeur, dont les marchandises importées se sont, dans l'intervalle de 1855 à 1866, élevées du chiffre de 13,378 à celui de 215,652 tonneaux, correspondant à l'arrivage de 732 navires de ce genre, on peut admettre qu'en 1872, époque de l'achèvement des quais projetés, le nombre des arrivages ne sera pas moindre de 1,200 navires jaugeant 360,000 tonneaux, et que si 300 mètres de longueur de quais suffisent à peine aujourd’hui en mettant deux et trois navires bord à bord, il en faudra bien alors 650 mètres pour que le service se fasse convenablement. Il ne restera donc plus pour les navires à voiles, vu la place que prend la machine à mâter, qu'une longueur de quai de 500 mètres, laquelle, bien certainement, ne pourra suffire en tout temps. Soit donc que l'on considère l'étendue des mouillages du port de Bordeaux, soit que l'on porte son attention sur la longueur de ses quais, on est toujours amené à reconnaître la nécessité d'adjoindre à sa rade des bassins plus ou moins vastes établis sur l'une ou l'autre de ses rives.
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