Bordeaux Aquitaine Marine

1557 - Projet de développement du port

extrait des Archives Historiques du Département de la Gironde.

Jehan de La Salle, capitaine ordinaire et pensionnaire du Roi pour la marine, fait observer que le port de Bordeaux, l'un des plus vastes de la chrétienté, est dans une position des plus heureuses de l'Europe pour le commerce, et qu'il s'y ferait certainement un trafic plus considérable qu'à Anvers, si la marine y était suffisamment protégée. Il propose d'y établir deux foires franches, chacune d'un mois ou six semaines, et de supprimer une des foires de Niort et une de celles de Fontenay ; de faire construire, devant la porte de Lombrière, un quai couvert, servant en même temps au déchargement des marchandises, à la défense de la ville et aux assemblées des marchands. D'entretenir constamment, sur les côtes de Guyenne, huit navires armés en guerre. Les villes de Toulouse, Agen, etc., qui font le commerce avec Bordeaux par la Garonne, entretiendraient un navire de 500tonneaux, un de 200 et un de 100. Les côtes nord de l'amirauté de Guyenne en entretiendraient trois semblables, et les côtes du sud deux d'environ 60 tonneaux. Le produit des prises faites par ces navires serait employé deux tiers pour l'entretien des navires et le paiement des droits de l'amirauté, et l'autre tiers partagé entre le capitaine et l'équipage du vaisseau preneur. Comme il faudrait pour ces vaisseaux beaucoup d'artillerie, et surtout de l'artillerie de fonte, il propose d'y employer le métal des cloches brisées à Bordeaux, qui se trouve actuellement dans le château de Nantes. En temps de paix, ces vaisseaux pourraient naviguer pour le commerce et contribuer à former une population de marins, comme en Normandie. Si le Roi veut confier à J. de La Salle la construction de ces navires, il les fera construire sur le modèle dont il présente le dessin,bons à la voile et à la rame, pouvant aller sur toutes mers, impénétrables aux boulets et, pour ainsi dire, insubmersibles. Il s'engage à y placer mille ou douze cents des meilleurs marins de Normandie. Pour garder l'embouchure des grands fleuves et attaquer les ports de mer, il présente le projet d'une plateforme flottante qu'il serait impossible de couler à fond et ne tirera que 4 ou 5 pieds d'eau, armée de trois batteries couvertes et portant 500 hommes de guerre. Il présente aussi le modèle d'une tour mobile en bois, de 75 pieds de large et de 50 pieds de haut, facile à monter, à démonter et à transporter partout où l'on voudrait.

Plan de Bordeaux en 1550

MÉMOIRE donné au roi de Navarre, pour l'utilité de la ville et du pays, par le capitaine de marine Lassalle.

Au Roy de Navarre, gouverneur, lieutenant général et aclmiral pour le Roy, en Guyenne. SIRE, Articles et remonstrances que vous présente Jehan de La Salle, capitaine ordinaire et pensionnaire du Roy au faict de la marine,pour le profict et utillité du royaume et de la république dans vostre gouvernement. Et premièrement vous faict entendre qu'en vostre gouvernement et admirauté de Guyenne, il y a aujourd'hui la commodité de faire servir la trafique de merchandises de toutes parts et mesme dans la ville de Bordeaulx, pour estre située à l'un des meilleurs lieux de l'Europe, pour la grand commodité du port, qui est l'un des plus beaulx qui soit en la Chrestienté, et aussi qu'elle est enclavée au milieu des terres depuis le destroit de Gibaltar d'ung cousté, de l'autre des royaumes d'Angleterre, Escosse, Irlande, Flandres, Picardie,Normandie et Bretaigne, et s'y feroit sans comparaison plus grand traficq de merchandises que dans Anvers, si elle estoit, par vostre faveur et ayde sure, plus fréquentée au faict de la merchandise qu'elle n'est, parce que à présent elle demeure quasi inutille pour n'avoir aucuns navires de guerre pour garder et conduire les navires des merchans, navigans le long de ladicte coste de Guyenne, de manière qu'ils sont aujourd'huy countraincts se. rendre plus casaniers que merchans, à la grand perte du pays et du pauvre peuple, lesquels n'ont à présent aucun moyen de vendre leurs danrées et merchandises pour faire argent, affin de payer les tailles et empruncpts au Roy, parce que l'ennemy est le plus fort à la mer. Le moyen d'enrechir la dicte ville et tous les pays sirconvoysins seroit besoing, s'il estait le bon plaisir du Roy, leur permettre en ladicte ville deux foires l'an, franches, durant chacune ung mois ou six sempmaines seullement, car y viendroint merchans et bources de tous couslés, trafiquaus de toutes sortes de merchandises en plus grand nombre, et mesmes plusieurs trafiquans à Anvers se rétréroienten la dite ville estant plus commode que ledit Auvers, et vauldront les coustumes au Roy sans comparaison plus qu'elles ne sont, parceque le grand traficq de la merchandise seroit cause qu'ordinairement y viendroient plus grand nombre de navires que ne font. Et se feroient de grands trafiques entre les dictes deux foyres pour les restes des merchandises qui demeureroient en ladicte ville, au grand profict du Royet du pauvre peuple. Et si le dit Seigneur le voultoit permettre, se pourroit prendre une foyre à Niort ct une aultre à Fontenay, ausquels lieux l'une empêche l'aultre. Pour acomoder les dicts merchans à faire leurs assemblées et comerse, seroit besoing faire unq quay devant la porte Lombrière,bien avant au plus bas de l'eau, lequel fermera des deux coustés, depuis l'estey du pont Sainct-Jehan jusques à l'estey des Anguilles, lequelservira aussi de forterresse et deffendra toute la dicte ville du cousté de ladicte rivière, qui est aujourdhuy le lieu le plus faible, et pourrontles navires charger et descharger du hault de l'eau au long dudict quay, en quel lieu les merchands seront à sec et à couvert pour deviserde leurs dits trafiques et merchandises suyvant la figure que ledict de Lassalle vous en présente. Et le dict quay faict fortifiera et embellira ladicte ville de la moytié, qui sera une grand commodité pour les merchans, tant de ladicte ville que aultres, et pour toute la République. Et pour asseurer les merchans affin qu'ils puissent trafiquer plus seurement le long des dictes costes de Guyenne, seroit faire faire huict navires de guerre armés et équipés, lesquels ne bogeront ordinairement, allans et venans le long de la dicte coste pour convoyer ordinairement lesdicts navires entrans et sortans dans et hors ladicte rivière, soyt un grand ou peu nombre de navires. Et pour frayer à ladespence de la construction et arme ment desdits navires, fauldrait que Tholose, Agen, Marmande et autres villes sirconvoisines qui trafiquent ordinairement leurs merchandises sur la mer jusques audict Bordeaulx, se contribuassent à faire trois navires, assavoir, unq de trois cens thoneaux, unq de deux cens et unq de cent. Et depuis ledit Bordeaulx jusques en Bretaigne tant que s'estend ladicte admyrauté de Guyenne, autres trois, de mesmes ports et Bayonne, Sainct-Jehan-de-Lux, Biarris, Cap-Breton et lieux sirconvoysins, deux moyens, de soixante thoneaux près. Et lesdits navires ainsiéquipés, armés et avictuaillés, tiendront ordinairement la dite mer et costes en seuretté. Et aussi que toutes les prinses qui se feront surles ennemys avec les dicts navires de guerre les deux tiers seront employés à l'entretènement des dicts navires, vostre droict d'admirauté payé sera, et l'autre tiers au capitaine et compaignons preneurs, afin que le peuple soit soulaigé, et les dictes choses bien gardées etconduictes comme dessus est dict, ledict pays en amendera vingt fois aultant que la despence, et vendront leurs merchandises comme ils vouldront, attendu ladite seuretté. Et parceque leur conviendra avoir grande quantité d'artillerie pour armer et équiper les dicts navires, mesme d'artillerie de fonte,s'il estait le bon plaisir du Roy et le vostre, Sire, leur permettre que toutes les cloches qui ont esté prinses et transportées tant de la dicte ville de Bordeaulx que autres villes sirconvoisines, rompues et cassées, leur fussent rendues dont aujourdhuy y en a une grand quantité à présent inutilles dans le chasteau de Nantes, et en feraient faire à leurs despens de l'artillerie propre et commode pour lesdicts navires. Lesquels navires, durant la paix, pour obvier à la despence de l'entretenement, pourront aller et venir à la merchandise pour lesdictsmerchans de Guyenne et non pour autres, si ce n'est que par vostre comendement; qui sera cause que plusieurs merchans qui n'ontcoustume de hanter la mer, seront bien aises d'y aller et trafiquer, et mesme qu'il s'y fera pour l'advenir grande quantité de bons mariniers,à cause de la continuation dudit navigaige, qui est aujourdhui la chose la plus requise en ces costes de Guyenne, parceque ayant en lesdictes foyres grand quantité de merchans, entreprendront voyaiges loingtains comme font ceux de Normandie, ayant mariniers espérimentés comme dessus est dict. Et s'il est vostre bon plaisir que ledict de La Salle face faire une partie desdits navires de son invention, il les faira pour la guerre, bons à la voille et au rame, pour naviguer en toutes mers, et sera quasi impossible qu'ils se puissent perdre ni aller à fons par coups d'artillerie ni autrement, suivant la figure d'une barque passaigere qu'il vous présente, et lesdicts navires faicts, il s'assure de former de mille ou douze cens pillotes et mariniers des meilleurs de la coste de Normandie pour faire vostre très humble et agréable service au Royet à vous. Il vous présente aussi la figure et portraict d'une plateforme sur rivière, laquelle sera impossible pouvoir mettre ni coller à fons et ne tirera que quatre à cinq pieds d'eau, se nagera à cent cinquante avirons quant besoincg sera, laquelle a trois batteryes à couvert, et se y pourra tirer cent cinquante pièces d'artillerie et loger cinq cens hommes, tant mariniers que gens de guerre, chose propre et commodepour garder l'entrée d'une rivière aux ennemies, où les chasteaulx et places fortes sont trop loing, et qu'il y a grand largeur devant, affin que nuls navires de guerre n'entrent dans lesdites rivières, que aussi pour faire batterie et surprendre des villes et chasteaulx le long desdictes rivières. Il vous présente aussi la figure et portraict d'un fort de boys, de soixante pieds en carré par dedans et soixante et quinze par dehors,qui sont d'espesseur de boys et terrasse quinze pieds, et de haulteur, de terre jusques à ladicte terrasse, vingt et quatre pieds, et de parapet six pieds, qui est trente pieds de haulteur. Le dict fort a quatre balloarts [boulevards?] de deffence en façon d'esperron, et est aisé à dresser promptement et transporter en tous lieux et principallement par mer au long des costes pour tenir l'ennemye en subjection,chose quasi impossible à prendre et soubdaine à dresser et à abattre, qui est une bonne chose aussi pour dresser promptement dans une ville faible, attendant qu'il fust revestu de pierres de telle grandeur que l'on vouldrait.

Signé DE LASALLE (1).

(1) Nous n'avons aucun renseignement sur l'auteur de ce curieux et hardi projet ; seulement les Registres du Parlement font mention d'un vieux

huguenot, nommé Lasalle, lieutenant du baron de Vaillac, gouverneur du Château-Trompette, qui pourrait bien être lemême que le capitaine Jean

de Lasalle et que le capitaine Lassale dont il est question, en 1562, dans l'Histoire ecclésiastique de Théodorede Bèse, livre IX. Vaillac ne passait pas

pour bon catholique; il fut en butte aux tracasseries des futurs ligueurs, et plusieurs fois le ducd'Anjou écrivit au Parlement d'obliger Vaillac de

renvoyer du château sa propre femme, son lieutenant Lasalle et un canonnier suspects d'hérésie. Vaillac répondit à Monluc, évêque de Valence, que

son lieutenant Lasalle appartenait à une bonne famille, qu'il avait toujoursservi avec fidélité, et qu'il ne pouvait sans ingratitude, maintenant qu'il

était vieux, le renvoyer brutalement. Cependant, pour montrer ses dispositions pacifiques, il consentit à l'envoyer dans une de ses terres ainsi que

son canonnier.

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